un bon repas
Un bon repas, en solitaire, à la terrasse d’un restaurant huppé ;
elle commande les plats les plus délicieux. On lui dit :
« Bon appétit ! »
Pourtant, le ciel s’assombrit ; un grondement lointain vibre dans l’air.
Au dessert, elle griffera le zinc des gouttières, terrorisée par la foudre.
la foudre
La foudre a pu cramer l’épiderme, tordre les bras, les pieds.
La foudre aurait pu déchirer la peau du dos, fondre la carcasse.
Sur la table de dissection, ni machine à coudre, ni même parapluie,
juste une chaise, câblée par les ronces, lentement exécutée dans le jardin.
dans le jardin
Dans le jardin à l’abandon, l’ombre glisse entre les souches.
Tous les jours, le vieux jardinier arrose le pied des arbres morts.
Son existence est une noria sans fin : remplir, monter, vider, descendre, remplir...
Il est déjà mort. Il se reposera, peut-être, après la guerre.
la guerre
La guerre recommence tous les jours au retour des bateaux de pêche.
Il suffit d’une tête de hareng, d’un boyau de carrelet
pour enclencher la bataille. Le besoin de carburant est un puissant moteur.
Mais quand le vainqueur regardera le sol, il ne lui restera rien.
rien
Rien n’arrivera ; personne ne viendra ; calme plat ; présence dans le silence.
Les pavés et graviers absorbent passivement le rayonnement lumineux, emmagasinent l’infrarouge.
Les cœurs pulsent lentement. Les pensées, confinées sous les calottes crâniennes, bouillonnent.
Ensemble et séparés, nous entendons gronder le flux continu de l’existence.
l'existence
L’existence est risquée ; la porte est piégée ; la propriété est privée ;
Un jour, le tronc du frêne poussera la paroi de bois poreux.
En attendant, des petits terroristes ont tenté de faire exploser le dispositif
en lançant des grenades confectionnées avec l’argile ramassée dans la cour.
dans la cour
Dans la cour de l’estaminet, le vélo de Polyphème Stout attend ;
le propriétaire de l’estaminet et le propriétaire du vélo sont attablés
devant deux chopes de Hommel Beer dont les parois ruissellent de rosée.
Après quelques heures, quelques chopes, le phare zigzaguant jaillira de l’ombre.
l'ombre
L’ombre se déplace sur la ligne du temps, à la croisée
des chemins. Sous la voûte, tracteurs et remorques remplacent chevaux et chariots.
Au-dessus, le charbon ne circule plus ; rails déboulonnés ; chemin de promenade.
Entre bêtise et progrès, les conducteurs de « quads » ont aboli la frontière.
la frontière
La frontière du jardin est marquée par un grillage au maillage serré.
Cependant, de jour comme de nuit, de nombreux clandestins la franchissent facilement :
limaces, escargots, taupes, lombrics, papillons diurnes ou nocturnes, merles et pigeons ramiers...
Le jugement d’excommunication frappe uniquement le lapin ; Eden interdit au condamné.
au condamné
Au condamné évadé de sa geôle, une brouette tendait ses bras rouillés.
Il a dédaigné ce moyen de transport pour s’enfuir en courant.
Les molosses aboient derrière lui. Les mâchoires claquent. Il court, il court,
avec au bout de cette ultime course, l’inéluctabilité de la chute.
la chute
La chute du clocher n’a pas modifié la posture du coq ;
cependant, sur le pavé, pourra-t-il continuer à vivre en stylite ?
Et, si la poule se retourne, deviendra-t-elle aussi une statue ?
Au moins deux graves questions existentielles qui se posent pour le couple.
le couple
Le couple de pieds tendres qui habitait les chaussures montantes a déménagé.
Il occupe maintenant un duplex d’élégants escarpins rouges à talons aiguilles.
La brillance du vernis n’efface pas les souvenirs d’herbes mouillées,
d’ornières boueuses ; tout ce long chemin parcouru durant les années passées.
les années passées
Les années passées se retournent comme des gants ou des chaussettes reprisées.
La maison a expulsé, craché, vomi des souvenirs déglingués sur le trottoir.
Une fillette cachée entre deux pages d’un cahier moisi s’échappe.
Elle court ! Est-ce pour fuir ou pour revenir dans la cage ?